Peut-on renforcer la peur ? Cette question fait régulièrement débat, certains prétendant que c’est impossible, quand d’autres expliquent que rassurer un chien qui a peur risque d’augmenter celle-ci.
Permettez-moi de vous éclairer sur le sujet au travers d’une histoire particulière : un journal de la peur dans lequel, comme dans la réalité, chaque détail compte…
Jour 1
Votre chien et vous avancez dans une rue piétonne, anonymes au milieu du flux dense des passants. Arrivés à l’angle d’une rue, vous remarquez que votre chien devient hésitant, son corps se raidi, sa respiration se saccade, puis il se stoppe. Vous le dépassez, tirant légèrement sur la laisse pour l’inciter à avancer : Rien ! Il ne bouge pas, le regard fixé sur le poteau à incendie se trouvant à une dizaine de mètres devant vous.
En l’observant quelques instant vous comprenez à son attitude globale qu’il a peur. Vous tentez alors d’attirer son attention, sans succès.
Désemparé.e, le stress commence à vous gagner. Votre chien n’est pas serein, vous n’avez pas de solution, et le fait d’être tous deux parfaitement immobiles, tel une anomalie au milieu du ballet fluide qui vous entoure, vous met très mal à l’aise.
Tout en souhaitant devenir aussi petite qu’une souris, vous enfermant dans une bulle de gêne, vous scanner discrètement du regard les passants, mêlé.e entre une envie d’être invisible et l’espoir qu’une aide providentielle vienne vous décoincer de cette situation qui vous semble perdurer depuis des heures alors que seulement quelques secondes se sont écoulées depuis.
Il vous faut réagir, trouver une solution pour ne pas laisser toutes les émotions négatives qui bouillonnent dans votre corps s’emparer pleinement de votre esprit.
Bien qu’ayant lu mille fois qu’il ne faut pas prendre un chien dans ses bras lorsqu’il a peur, au risque de renforcer celle-ci ou même d’en faire une mauviette, vous prenez une profonde respiration, expirant longuement l’air de vos poumons comme pour souffler l’angoisse loin de votre corps, puis vous vous penchez sur lui en prenant soin de ne surtout pas regarder autour de vous. Si vous ne voyez pas le monde qui vous entoure, avec un peu de chance il ne vous verra pas non plus et vous ne serez pas jugé.e pour ce que vous vous apprêtez à faire.
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Vous prenez votre chiens dans vos bras, et le monde semble s’adoucir autours de vous. Vous sentez son corps se détendre, sa respiration s’apaiser, tous deux au diapason, vous réconfortant mutuellement quand … PAF ! Surgissant de nul part aussi désagréablement qu’une araignée atterrissant dans votre nuque : Jean-Bob Marcel.
Sa grosse voix et son énorme moustache pourraient vous faire peur, si vous n’étiez pas déjà terrorisé.e par son intrusion dans votre espace personnel. Il vous parle, mais il est si près de vous que vous ne comprenez pas ce qu’il veut vous dire. Vos oreilles l’entendent, vos yeux le voient, mais tout ce que vous entendez distinctement dans votre tête c’est votre voix qui le supplie intérieurement de reculer, étant vous-même tétanisé.e par cette intrusion soudaine.
Vous répondez machinalement à ses propos. Des oui, des non, sans que cela ait le moindre sens pour vous, étant incapable d’intellectualiser les sons qui vous parviennent. Jean-Bob Marcel s’éloigne après ce qui vous a paru être une éternité. Quelques minutes seront nécessaires pour que vous preniez à nouveau conscience qu’il y a tout un univers autours de vous, que votre chien est toujours dans vos bras, que les passants sont toujours aussi actifs, et pour que les bruits de la rue atteignent à nouveau votre esprit.
Vous reprenez votre balade, un peu ébranlé.e par l’expérience inattendue et désagréable que vous venez de vivre, essayant de l’oublier tout en tentant de la comprendre et de reconstituer le puzzle des mots prononcés par Jean-Bob Marcel l’éducateur canin : « Je vous observe depuis un moment… 40 ans de monitorat professionnel dans un club amateur… le laisser se débrouiller pour gérer sa peur… doit apprendre par lui-même… méthode qui a fait ses preuves… dois lui parler sèchement en allemand car c’est un berger allemand… en le prenant vous aller augmenter sa peur… je suis souvent au PMU en face on se reverra… démonstration…»
C’est tellement flou, tellement confus.
Votre journée se passe. Vous vaquez à vos occupations professionnelles sans parvenir à vous débarrasser d’une étrange sensation de mal-être. Une préoccupation permanente, une légère tension qui vous amène à percevoir les petits détails de votre journée plus gravement qu’à l’accoutumée.
De retour chez vous, vous temporisez pour aller sortir avec votre chien. Ce moment qui vous est pourtant si agréable habituellement, mêlant décompression et partage de moments joyeux avec votre petit poilu, vous le retardez de quelques minutes afin qu’un.e ami.e vous accompagne. Aujourd’hui vous avez besoin de parler, et la présence de votre ami.e redonne une touche de légèreté à cette journée qui vous a semblé si particulière.
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Jour 2
La nuit dernière n’a pas été très reposante. Vous avez mal dormi sans trop savoir pourquoi, mais vous avez décidé de ne pas vous laisser abattre par de simples sensations, et en cette dernière journée de travail de la semaine, vous allez vous dynamiser au maximum pour profiter au plus tôt de votre soirée entre amis.
Le bon côté d’une nuit à mal dormir, c’est que vous vous êtes réveillé.e plus tôt. Vous allez en profiter pour tester un nouvel itinéraire pour la balade du matin. Pourquoi aujourd’hui ? Vous n’en savez rien mais cette idée vous réjouit.
Balade sans problème. Deux pipis et un caca récompensés. Votre matinée de travail a également été très productive. Vous avez la pêche, et mis à part ce bras gauche qui vous démange ce matin, tout va pour le mieux.
Retour à l’appartement, laisse, harnais, et c’est parti pour une petite balade rapide en mangeant un sandwich et en navigant sur les réseaux avant de retourner bosser. Un like par ci, un match par là, un … Oh non, ça recommence ! Il bloque à nouveau à la vue de ce satané poteau à incendie.
Vous sentez un frisson vous parcourir, votre coeur s’accélérer. Sans perdre le temps de réfléchir un instant, vous prenez votre chien dans vos bras, vous accélérez le pas et allez terminer votre balade plus loin avec la sensation d’avoir échappé à quelque chose d’horrible.
Au travail, votre après-midi se déroule dans la lignée de cette matinée productive, avec toujours ce bras qui vous démange jusqu’à l’intérieur du poignet. Vous pensez que vous allez changer vos draps ce soir et en profiter pour mettre des huiles essentielles sur votre matelas, quand vous tombez nez à nez avec votre boss, sursautant comme si vous veniez de mettre les doigts dans une prise de courant. Rien de bien grave, et finalement vous en riez tous les deux, mais il vous fait remarquer que la période de repos qui débute ce soir vous fera du bien car il vous trouve un peu nerveux.se aujourd’hui. C’est vrai que jusque là jamais vous n’avez sursauté ailleurs que devant un film.
Ce soir, pas le temps d’attendre votre ami.e pour la balade. Vous auriez préféré, mais vous êtes attendu.e pour un apéro entre amis. La balade va donc se faire en mode rapide, et comme demain c’est repos, vous aurez tout le temps nécessaire pour compenser.
Laisse, harnais, basket qui ne vont pas du tout avec votre tenue pour la soirée, mais ce n’est pas grave, c’est parti !
Pour vous, le vendredi soir a une saveur particulière, vous avez la sensation que la foule bat à un rythme différent, que tous avancent vers une sorte de libération. Vous aimez beaucoup observer les passants à ce moment de la semaine, imaginant que chaque pas les ré-humanise un peu plus en abandonnant progressivement le rôle professionnel qu’ils occu… Non c’est pas vrai ! Vous reprenez vos esprits en remarquant que votre chien s’est arrêté une fois encore. Tremblant, haletant comme après avoir couru, ses pattes semblant être collées au sol, le regard fixe. Vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous êtes pourtant à une bonne trentaine de mètres du poteau à incendie.
C’en est trop ! Vous faites votre possible mais la situation empire ! Perdu.e entre tristesse, stress, et agacement, vous tirez un peu sur la laisse pour le faire avancer. Si le prendre dans vos bras le rend encore plus peureux, il faut arrêter ça et le forcer un peu !
Et si Jean-Bob Marcel avait raison ? Et si votre chien faisait du cinéma pour être porté ? Et si l’aider le rendait encore plus peureux ?
Vous tirez plus fort, mais rien n’y fait, il résiste et se débat. Ok ! pensez-vous. Tu ne veux pas avancer, tant pis pour toi, on rentre ! Vous essayez de vous contenir, mais ça suffit vous ne céderez pas à son caprice ce soir et vous êtes en tenue pour votre soirée, ce serait bien qu’elle reste sans poils dessus.
Vous avez réussi, votre apéro se déroulera sans poil sur votre tenue, mais avec beaucoup de culpabilité, de questionnements dans votre esprit, et toujours cette démangeaison qui commence à devenir psychologiquement irritante. Au point que, ne profitant pas de la soirée, vous rentrez tôt pour tenter de vous faire pardonner auprès de votre poilu.
Cette nuit est horrible, vous tournez et vous retournez sans cesse dans vos draps propres. Cette fraicheur et cette bonne odeur d’adoucissant sont pourtant très apaisantes d’habitude, mais pas ce soir. Trop de questions, trop d’incompréhensions. Vous vous relevez, et vous surfez de forums en réseaux sociaux pour tenter de comprendre comment un chien peut avoir peur d’un poteau à incendie, et qu’elle est la bonne stratégie à adopter pour que ça cesse.
Une heure, deux heures, puis trois… trois heures que vous lisez des témoignages, commentaires contradictoires et débats, où il semble plus important de parler que d’écouter.
Les yeux brûlants d’usure, tombant.e de fatigue, et lasse de lire d’un côté « la peur ne peut pas se renforcer car on ne renforce pas une émotion », sans aucun autre argument, et d’un autre côté des témoignages indiquant le contraire sans aucune place laissée à une quelconque opposition d’idée, vous prenez ce qui vous semble être la meilleure décision : Demain matin vous irez au PMU voir si Jean-Bob Marcel est là.
Jour 3
Après avoir lézardé au lit, puis sorti votre chien sur l’itinéraire week-end pendant 2 bonnes heures, vous allez profiter de votre passage à la pharmacie pour vous arrêter au PMU, quartier général de Jean-Bob Marcel.
Décidé.e, plein.e de bonne volonté, motivé.e à trouver une solution, vous avancez direction le PMU avec mille questions qui se reformulent dans votre tête. Le pas rapide et… vous vous bloquez ! Il est là, accoudé à une table haute en terrasse, à une vingtaine de mètres devant vous, le mégot la bouche… Vous êtes incapable d’avancer, plus aucune question en tête, vidé.e de toute pensée à l’exception de cette sensation de démangeaison du bras qui vous assaille à nouveau.
Vous sentez votre coeur cogner comme s’il tentait de trouver une faille entre vos côtes pour s’enfuir. Une moiteur envahit votre dos, vos aisselles.
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Après un moment passé immobile, à le fixer du regard, vous sursautez quand une amie vous interpelle, vous demandant si tout va bien tant votre attitude corporelle est inquiétante.
Vous vous rendez compte, au fur et à mesure que vous échangez avec votre amie, que vous vous sentez mieux. Certes les questionnements reviennent, mais votre cerveau semble reprendre progressivement le contrôle.
De blabla en potins, vous décidez de vous rendre ensemble à la pharmacie avant d’aller prendre un café, votre amie vous proposant de vous accompagner pour la rencontrer avec Jean-Bob Marcel qui, selon elle, n’a pas l’air bien effrayant avec son physique d’éponge imbibée. Vous ne comprenez pas la blague, mais elle vous fait rire et ça vous fait vraiment du bien de savoir que vous allez être épaulé.e par quelqu’un plein d’assurance.
Vous expliquez au pharmacien que votre bras vous démange beaucoup ces temps-ci. Pas là tout de suite, mais de façon presque continue avec des pics très désagréables. En l’auscultant, il vous indique qu’il serait intéressant de trouver ce qui déclenche cette forme d’urticaire liée au stress. La pommade qu’il va vous vendre pourra vous soulager, mais si le problème n’est pas traité à la source vous ne vous débarrasserez pas de ce désagrément qui risque de s’empirer au point de potentiellement devenir permanent.
Il ne vous faut que quelques secondes pour vous remémorer le fait que ça a commencé 3 jours avant, lors de la rencontre inopinée avec Jean-Bob Marcel. Et rien que d’y repenser, votre bras se met à nouveau à vous démanger.
Le pharmacien vous conseille alors d’éviter au maximum cette personne, et si ce n’est pas possible d’être modérée dans les interactions afin de vous laisser le temps de vous rassurer et de ne surtout pas empirer la situation. Il vous suggère enfin, en cas de besoin, de vous orienter vers une aide psychologique pour passer ce cap.
Vous quittez la pharmacie et votre amie vous propose de vous installer en terrasse, face au PMU, pour papoter un peu. Vous en profitez pour lui raconter comment ce lieu est devenu compliqué par le fait que votre chien refuse de passer à proximité du poteau à incendie de l’angle de la rue. Du coin de l’oeil, vous surveillez régulièrement les alentours afin de vous assurer que Jean-Bob Marcel ne surgisse pas comme ça s’est déjà produit.
Votre amie vous écoute attentivement sans vous couper, vous n’aimez pas quand elle prend cette attitude passive d’étudiante en psycho, mais lui parler vous fait du bien, vous détend.
Elle prend enfin la parole, hésitante dans sa formulation, puis vous dit « l’autre gugus, c’est ton poteau à incendie à toi ». Vous la regardez alors d’un air très circonspect, l’invitant par votre moue à vous donner plus de détails afin de comprendre où elle veut en venir. Mais elle fait mine de ne rien remarquer et change complètement de sujet. Qu’est-ce que ça peut vous frustrer quand elle fait ça !
Vous passez de longues heures à discuter de tout et de rien, à rire ensemble, oubliant le temps qui passe, les stress, le monde autour, et même jusqu’à la présence de Jean-Bob Marcel. Certes, vous n’aurez pas eu le courage et l’envie d’aller le voir aujourd’hui, mais ce n’est pas grave. Vous l’avez observé par moments et il vous apparaît beaucoup moins effrayant que la veille.
Sur le chemin du retour, votre amie vous envoie un sms en vous remerciant pour cet après-midi agréable, vous indiquant qu’elle est ravie de vous avoir aidé dans votre quête de mieux-être. Que même si vous ne savez pas encore comment, en vous remémorant ce moment passé ensemble, elle est certaine que vous allez trouver.
De retour chez vous, c’est le moment de sortir votre chien. Laisse, harnais, basket, et c’est parti pour une balade intelligente sur le lieu du problème. Après tout, si en restant quelques temps à bonne distance de Jean-Bob Marcel vous êtes parvenu.e à vous détendre, il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même pour votre chien et son poteau à incendie. Puis vous êtes là pour le rassurer et lui faire penser à autre chose, comme l’a été votre amie aujourd’hui pour vous.
Jour 4
Les balades intelligentes d’hier se sont très bien passées. Vous n’êtes pas allez jusqu’à toucher le poteau à incendie, mais vous vous en êtes rapprochés progressivement sans que la peur ne paralyse votre chien.
Votre bras ne vous démange plus vraiment, peut-être grâce à la pommade miracle. Cette nuit vous vous êtes souvenu.e que vous aviez déjà croisé Jean-Bob Marcel, et que derrière son air bourru il n’était pas le monstre que votre esprit avait créé suite au trauma de son intrusion si surprenante dans votre espace personnel.
Jour 5
Vous faites des progrès votre chien et vous. Il vous est possible de passer à côté du poteau à incendie sans changer de trottoir, et vous vous êtes même arrêtés prendre un café au PMU, à seulement 2 tables de Jean-Bob Marcel qui semble aussi fixé à cette terrasse que le poteau incendie à son trottoir. Vous n’avez pas parlé ensemble, mais il ne vous effraie plus réellement. Il n’y a que lorsqu’il a éternué que votre peur est remontée en flèche, mais vous avez été capable de vous raisonner assez rapidement sans perdre tous vos moyens.
Vous avez envoyé un sms à votre amie en lui indiquant ceci « Merci à toi poulette, j’y ai repensé et tu m’as vraiment beaucoup aidé. Je crois que je comprends maintenant les mécanismes généraux de la peur, que je peux les gérer, et que je suis même capable de répondre à la question si délicate : peut-on oui ou non renforcer la peur ? »
Et vous ? En êtes vous capable à présent ?
Nous vous invitons à réfléchir sur le sujet au travers des différents éléments de ce journal de la peur, et à nous dire ce que vous en pensez en commentaire.
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